Dans le cadre du Festival pour la Paix en Colombie - Mémoires et Justice Sociale réalisé les 6-7-8 mars 2015 à Montreuil (près de Paris), Imelda Daza, survivante du génocide de l'Union Patriotique exilée en Suède depuis 24 ans, a prononcé les paroles suivantes au cours du débat sur :
Le processus de négociation de paix, les victimes et la voix des exilés
par Imelda Daza Cotes
Paris, 6-7-8 mars 2015
Certainement, le conflit armé a affecté, sans distinction, bonne partie de la population colombienne. L’univers des victimes est large et varié. La violence et les agressions, dans leurs multiples formes, proviennent de plusieurs fronts : groupes paramilitaires, forces armées de l’Etat, insurgés armés, organismes d’espionnage gouvernementaux, groupes de justice privée et délinquants de droit commun. De nombreux survivants à la tragédie ont été obligés de se déplacer à l’intérieur du pays. Nous autres, avons dû en sortir. S’y ajoutent les migrants économiques, les déplacés frontaliers, les expulsés par manque d’opportunités, qui sont eux aussi des victimes, comme les enfants et les jeunes colombiens donnés en adoption à des familles européennes. Tout cela a lieu dans un pays incapable de garantir un minimum de conditions de vie à la majorité des citoyens.
En nous additionnant tous, nous sommes près de 6 millions, nous qui composons la diaspora colombienne, invisibles socialement et politiquement, et ignorés par l’establishment. Nous avons supporté avec rigueur le poids d’une confrontation armée qui s’est prolongée dans le temps mais dont la fin semble proche. Le processus de conversations et de négociations qui se déroule à La Havane entre la guérilla des FARC et le gouvernement colombien semble avancer dans la direction que nous espérons.
Nous, obligés à quitter le pays par l’urgence de protéger notre intégrité personnelle et familiale, nous sommes appelés “déplacés externes”, exilés, demandeurs d’asile, réfugiés politiques. Nous sommes dispersés de par le monde. Le risque de perdre la vie étourdit et la peur est telle, qu’elle ne donne pas la possibilité de beaucoup penser vers où aller. N’importe quel lieu lointain apparait sécurisant.
L’exil est un vécu traumatique. C’est un déplacement, c’est une douleur, c’est un bannissement, c’est la rupture brusque et radicale d’un projet de vie. C’est aussi un échec. Peu importe le lieu où on arrive, peu importe la condition sociale, économique ou intellectuelle du déplacé, on doit toujours affronter des situations inimaginables, la perte du contact avec ses proches, l’abandon de l’espace familial, professionnel, social et culturel, tout ce qui engage le milieu affectif au milieu de frustrations et de nostalgies qui seront plus ou moins aigües suivant le contraste entre le pays que nous avons laissé et le pays d’accueil.
Dans le nouveau lieu, les défis sont nombreux et difficiles à manier : L’apprentissage d’une nouvelle langue et de nouveaux usages, le maniement de nouveaux codes de conduite, la réinsertion professionnelle, d’autres climats, etc...
Quelquefois, l’incertitude est telle, qu’elle paralyse, qu’elle freine les impulsions. On doit affronter des sentiments jamais expérimentés auparavant : La perte d’identité, la sensation de non-appartenance, la solitude et l’isolement extrême, la transculturation, la précarité, le désir de récupérer ce qui a été perdu et la soif de reconstruire les liens rompus abruptement. Tout est très complexe. Sans doute, ce qui est le plus tourmenté ce sont les NOSTALGIES, elles transforment les souvenirs et falsifient le passé qui devient une illusion. Ainsi, le pays que nous avions laissé, quelquefois redevient bon et l’obsession du retour s’agrandit avec le passage du temps. S’ajoute à tout cela la sensation d’abandon de la part de l’Etat qui a toujours ignoré la diaspora, la dure réalité de l’exil, de ses impacts et la violation des droits qui nous expose à la re-victimisation. Une politique publique qui reflète et prenne en compte les besoins et les urgences des colombiens résidents à l’extérieur n’a jamais existé.
Voilà tout ce que nous avons affronté, et plus encore, nous qui maintenant, assumons le défi de rechercher des chemins de paix, de tolérance et de réconciliation à travers la Vérité, la Justice et la Réparation intégrale, avec tout ce qui doit nous permettre un Retour Digne, avec des garanties pleines, au pays que nous n’avons jamais voulu quitter. Ce Festival correspond à ces intentions et au besoin de nous rendre visible.
La force des faits nous a converti en sujets actifs et engage notre volonté et notre effort dans la récupération de la Mémoire pour, à travers elle, connaître la Vérité qui mène à la Justice et à la Réparation Intégrale, partie essentielle du droit au Retour. Car, sans vérité il ne peut y avoir de paix.
Il est urgent de reconstruire le passé qui nous tourmente et de récupérer la mémoire de ce qui s’est passé. Ce doit être un acte politique libre, spontané, volontaire, une pratique sociale pour nous écouter, exercer la tolérance, identifier les ressemblances et rompre avec l’exclusion et la polarisation. C’est un exercice utile à la société et aux victimes, un exercice qui nous aide à mieux interpréter ce présent qui nous accable et à entrevoir le futur avec quelque certitude. De plus, comme il fait partie d’un processus de construction, il nous permet de récupérer le sens d’appartenance, il renforce les liens d’identité, approfondit l’enracinement à une collectivité, à un territoire, reconstruit la notion du NOUS et nous aide ainsi à assumer la sensation d’étrangeté qui accompagne le retour.
Les exercices de mémoire collective sont un mécanisme de résistance contre l’oubli et contre la répétition des faits. Cela nous permet de comprendre que le retour ne ressemble pas à une tâche interrompue, mais plutôt un saut historique pour arriver à un territoire qui a souffert des transformations et des changements dans tous les domaines. Nous ne revenons jamais au même lieu. La mémoire est une alliée dans ce processus car elle permet de réfléchir sur le “comment c’était avant”/ “comment c’est maintenant” et sur ce qu’impliquent les similitudes et les différences, ce qui est fondamental dans la construction du futur.
Evidemment, le Retour soulève des incertitudes, retourner est beaucoup plus que revenir. Ce devenir et ce revenir, il faut le regarder à partir de la perspective de la mémoire, pour faciliter les rencontres, éviter les désaccords et faire en sorte que “revenir à la Maison” ne devienne pas un nouveau déplacement.
Mais le retour implique également une Réparation qui rende possible le rétablissement de nos droits citoyens et la réintégration dans la vie sociale et politique avec la pleine garantie que les faits qui ont provoqué l’exil ne se répétiront pas. En cela, la Vérité redevient cruciale. La mémoire de l’exil et de la diaspora colombienne devra avoir comme objectif important la juste reconnaissance de la renommée et de la dignité des victimes. Ce n’est que de cette manière qu’il sera faisable d’avoir confiance dans la non-répétition des faits occasionnant des victimes. Ce n’est que de cette manière qu’il sera possible de construire un futur en paix.
Les actes de réparation qui rendent possible un retour digne sont d’ordre divers et ont quelque chose à voir avec les garanties du gouvernement pour la récupération des droits citoyens, avec l’indemnisation proportionnelle pour les dommages causés ou les situations lourdes dans la vie des victimes, et avec la conception d’une politique publique qui définisse les buts et les procédures permettant de rendre effectifs tous les actes de réparation, dont la construction de la mémoire collective du conflit avec une approche différenciée et une perspective de genre. La réparation intégrale a évidemment quelque chose à voir avec la Vérité et le droit à connaitre ce qui s’est passé, savoir qui ont été les bourreaux, l’emplacement des restes des parents disparus, la restitution des terres usurpées, ainsi que le droit à enquêter sur les faits qui ont affecté les victimes et à sanctionner les responsables.
Pour le cas emblématique de l’UNION PATRIOTIQUE, la réparation intégrale doit partir de la reconnaissance du GéNOCIDE politique qui a conduit à sa disparition de la scène politique. Elle oblige l’état colombien à un processus de réparation intégrale avec des mesures qui combinent des approches non seulement restitutives et compensatoires avec des approches transformatrices.
Nous, colombiens déplacés à l’extérieur, nous entendons être reconnus pour ce que nous signifions comme victimes, une force politique et sociale qui a beaucoup à apporter au pays et au processus de paix. Nous sommes un pilier fondamental dans la construction de démocratie et nous exigeons du gouvernement la définition d’une politique publique des migrations avec une Chancellerie qui s’occupe et serve les colombiens de l’extérieur.
Pour faire en sorte que notre lutte soit efficace, il est nécessaire de rompre le silence de tant de décennies. Nous devons nous rendre visibles, que nos voix soient écoutées et que soit unanime le cri qui affirme que CA SUFFIT! Assez d’ignominie, assez de guerres, assez de victimes.